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Is Christian Girl dead ?

On a tous une part de Christian Girl en nous. On fait des jugements hâtifs, on aime les choses simples mais nous sommes surtout perméables aux esthétiques. On se laisse facilement porter et influencer par un ensemble d’images, de couleurs, de mode de vie et donc d’apparences que l’on applique à soi-même. Un univers pré-conçu auquel on ajoute une touche de personnalité.

Avant les années 2010, les groupes aux esthétiques bien distinctes (et surtout justifiées) venaient principalement de cultures marginalisées ou de sous-cultures. Avec l’arrivée de Tumblr et plus tard Tiktok, l’esthétique est devenue un mode de vie à adopter dans chaque aspect de la vie (vêtements, alimentation, décorations, fréquentations, activités/sorties…). Ce n’est alors plus la même sociologie qui peut expliquer l’apparition des trend aesthetic ni d’ailleurs la même sociologie de personnes. Il ne s’agit plus d’un petit groupe de personnes ne s’identifiant pas dans la culture populaire ou de personnes marginalisées. C’est ici n’importe qui qui peut s’identifier à une esthétique. Un exemple parlant de cela est la représentation de la Christian Girl (qui n’a au final rien de « Christian »), associée à l’automne, aux boissons chaudes épicées, au feuilles de saison, et on le verra au fait d’être une femme blanche.

La Christian Girl Autumn est très vite reconnaissable. J’ai entendu ce terme pour la première fois le jour où des camarades avaient désigné une autre camarade comme étant une Christian Girl. J’ai tout de suite compris de quoi il s’agissait vu qu’elle avait effectivement cette esthétique. Le Pantone est simple : des oranges chauds, des rouges profonds et des jaunes moutarde. Le vestiaire ne se revendique explicitement par extravagant non plus : du layering avec des pulls surdimensionnés, des écharpes (pas à la Amélie Netten) et des cardigans aux tons des leggings, jean skinny ou jupes avec des bottes à hauteur du genou, pour garder l’aspect cozy plaid automnale boisson chaude épicée, on porte un bonnet et des chaussettes épaisses. Beaucoup de laine bien sûr, et du tricot mais aussi du daim. La Christian Girl est créative et aime les choses simples : elle cherche le meilleur spot en étudiant à quel endroit les feuilles ont atteint leur dernier stade de couleurs jaunes/marrons avant de mourir pour les prendre en photos, elle tricote, elle dessine, elle se promène dans la nature et ratisse les feuilles (??), la plus obsédée d’entre elles va jusqu’à bricoler ou faire des activités créatives manuelles à base de feuilles… Quand elle n’écoute pas une playlist loft et jazzy, elle écoute Mary on a Cross ou Apocalypse de Cigarettes after sex. Les dimanches après-midi, après une ballade dans la forêt, elle regarde Autumn in New York ou Twilight (elle se réserve la Famille Adams et Psycho pour Halloween). Le soir elle regarde Pretty Little Liars par nostalgie et se rappeler de son adolescence au moment où elle a vu pour la première fois la série, mais quand elle veut avoir peur et montrer qu’elle est un peu plus mature elle regarde The Hauting of Hill house.

Cette tendance à l’appropriation, l’esthétisation et l’amplification de banalités du quotidien et en faire un trait de personnalité est propre à la culture millenial. Une tendance à l’esthétique qui s’expliquerait par un besoin de profiter plus des choses banales qui nous entourent. Ou bien par un besoin de distinction où il s’agit de vivre hors des tendances mais tout en en créant une. Mais l’explication qui me plaît le plus est celle qui concerne la promesse d’une stabilité. Lorsqu’on choisit, inconsciemment ou non, de suivre une esthétique et de l’appliquer (toujours de manière plus ou moins consciente), on a alors comme un guide ou une grille que l’on utiliserait dans chaque aspect de la vie (manger, s’habiller, sortir, voire relationner) qui viendrait faciliter les efforts cognitifs liés à tous ses aspects du quotidien tout en gardant une cohérence. Ça serait bien pratique en théorie, on aime l’esthétique Pumpkin Spice latte sans faire trop d’efforts et on peut la vivre pleinement en appliquant les codes de ce lifestyle (éphémère par saisonnalité ?) que l’on a tout simplement intégré à notre personnalité. Se faciliter la charge associée aux aspects du quotidien semble plutôt essentiel dans un monde sur-stimulé.

Le problème de cet impératif aux esthétiques qui s’étend dans chaque aspect de la vie est que naturellement il renferme d’une part et que d’autre part il ne permet pas l’exploration de soi. Il renferme par sa perméabilité aux tendances sans questionner vraiment son identité propre bien que l’on ait l’illusion que ça nous corresponde. Nous facilitant l’effort cognitif, se calquer à une esthétique c’est se limiter et se contenter de ce qui se présente à nous plutôt que nous inventer, approfondir sa créativité et interroger ses influences esthétiques. De plus, cet impératif ne permet pas la conscientisation de l’esthétique, ni forcément de ses enjeux qui peuvent parfois être problématiques sans parler du fait que ça soit impersonnel.

Si la Christian Girl est d’une certaine façon terminally online, ce n’est pas elle qui l’est mais plutôt celleux qui lui ont permis d’émerger. Le contexte d’apparition de la Christian Girl Autumn nous fait nous interroger sur le comportement de personnes terminally online et de la façon dont leur jugement se forme. A l’origine, Blizzy McGuire alias @lasagnabby, une étudiante qui s’ennuyait, a tapé sur Google « cute Church outfit », « Christian girl » et est tombée sur une photo de Caitlin Covington. Elle en a fait un meme devenu viral « Hot Girl Summer is coming to an end, get ready for Christian Girl Autumn ». Un langage de terminally online dans les réponses comme « cette photo a laissé sa boisson épicée sur le côté de mon écran », « cette photo m’a demandé de ne pas embrasser un autre homme en public et si je pouvais sortir du restaurant », ou « cette photo pense que l’Afrique est un pays et va y faire un voyage humanitaire ». Plus tard, la Mariah Carey de l’automne a répondu « emoji arc-en-ciel x3 emoji coeur x3 love is love! » lorsqu’on lui a demandé son opinion sur la communauté LGBTQI+, et a répondu qu’elle n’était pas républicaine quand un autre internaute lui a posé la question. « Les gens ont supposé que j’étais anti-LGBT mais je ne le suis pas du tout ».

Ce condensé d’attributions d’opinions et de pensées qui ont participé à créer une image de Caitlin Covington comme une femme blanche probablement raciste et anti- LGBTQI+ est typique d’un comportement de terminally online. Dans la vie de tous les jours, le jugement social est nécessaire pour nous faire une idée et comment communiquer mais sur les réseaux nos avis sont polarisés et le jugement est d’autant plus facilité et extrapolé à son extrême. Ce jugement est probablement aussi nécessaire pour faire le tri rapidement parmi toutes les informations surchargeantes ainsi que pour amoindrir l’effort cognitif qui initialement consiste à réfléchir de manière plus approfondie à la façon de juger autrui. Ce jugement est la plupart du temps automatique et échappe à la conscience. En prendre conscience c’est limiter les biais et donc les préjugés, littéralement ce qui se conçoit avant le jugement. Les préjugés deviennent problématiques lorsqu’ils ne passent pas l’étape du jugement et vont directement se fixer à une idée. Catégoriser une personne comme étant problématique quasi d’office par sa simple apparence est beaucoup plus facile à faire pour notre cerveau. Le problème étant que cela radicalise des positions parfois déjà radicalisées qui méritent plus de nuances car la réalité est bien plus complexe que cela. Cette catégorisation faite à la base pour simplifier notre vie sociale renforce des avis et des opinions sur des sujets pointus qui nécessitent une réflexion approfondie et un certain nombre de connaissances.

La Christian Girl ne meurt jamais, elle ne rentre pas au placard dès les premières baisses de température annonçant l’hiver. En 2018, elle va adopter l’esthétique parisienne Rouje de Jeanne Damas et plus tard devenir une minimalistic girl de Copenhague. Elle se réinvente simplement sous différentes formes tout en conservant l’état d’esprit de profiter des choses simples et de les optimiser (peut-être de façon capitalisée voire capitaliste ?). A partir de cette tendance à se réinventer à chaque fois, en empruntant des esthétiques déjà existantes ou en en étant une soi- même, la perméabilité aux esthétiques est commune à tout le monde et encore plus aux millenials.


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