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Les femmes qui ont fait la mode – Entretien avec Yseult Williams

Entretien du 7 décembre 2022

Rencontre avec Yseult Williams pour parler de son livre Les impératrices de la mode. Elle  confie également son avis sur celles qui font la mode aujourd’hui. Ayant été rédactrice en chef à Marie Claire, directrice de la rédaction Marie France, lancé le magazine Grazia en 2008, et relancé le magazine Lui en 2013 avec Frédéric Beigbeder, elle livre son ressenti sur le monde de la presse de maintenant.

En effet, je ne suis pas journaliste de mode, je n’ai jamais écrit sur la mode. En fait, c’est ce qu’on pourrait penser car j’ai dirigé des magazines de mode. Mais j’ai engagé au sein de ces journaux des gens dont la spécialité était la mode. La seule chose que j’ai faite sur la mode en tant que journaliste c’est une interview de John Galliano et commenter un défilé. En revanche, j’avais une sensibilité à la mode. D’ailleurs, j’ai été pigiste à ELLE avant d’être chez Marie Claire. A la base je suis une journaliste société, j’étais plutôt intéressée par ce qu’il se passait dans le monde. A 20 ans j’aurais préféré être à Libé que dans la mode. Mais les choses ont fait que je me suis retrouvée naturellement à travailler dans les magazines féminins. 

J’ai écrit Les impératrices de la mode au moment où j’ai quitté Grazia en 2012. Je m’interrogeais sur le métier que j’avais fait, je sentais que c’était un peu la fin. Il se trouve qu’on avait fait un article au moment où Carine Roitfeld ne faisait plus partie de Vogue. Il s’agissait d’un papier général sur ce qu’on appelait les Fashion editors. A cette occasion, la journaliste Adrienne Ribes, qui a dirigé les pages modes écrites de Grazia, a fait ce papier où elle racontait l’histoire de ces femmes au XXème siècle qui ont eu une importance dans la mode. J’avais envie d’écrire un livre dessus. Je me suis mise à lire beaucoup et je me suis rendue compte que toutes ces femmes avaient un lien entre elles et moi-même. Elles étaient soit américaines soit françaises et cela me parlait car je suis anglo-saxonne.

Il me semblait qu’il y avait quand même quatre grands journaux. D’ailleurs ce sont ceux qui existent encore : Elle, Marie Claire, Vogue, Harper’s Bazaar. Il y a d’autres journaux comme Cosmopolitan mais ils ne font pas partie de ceux qui ont accompagné les femmes. J’ai choisi ces femmes car elles avaient eu une importance dans ces journaux. De plus, elles y sont restées longtemps, soit parce qu’elles l’ont crée soit parce qu’elles ont vraiment dominé leur époque.

C’est une amie qui travaillait avec moi et qui venait de mourir d’un cancer. A l’époque, elle était fascinée par Diana Vreeland et elle lui ressemblait. On aurait dit Coco Chanel ou Diana Vreeland. C’est pour ça que je lui ai dédicacé ce livre. 

Tout d’abord, c’est un travail conséquent avec beaucoup de lectures et de recherches. J’ai du me plonger dans de vieux livres qui dataient. Par exemple pour Edna Chase, il n’y avait pas de livres en France, ou alors ils dataient des années 50 et en anglais. Mais j’ai la chance d’être bilingue donc pas ce n’était pas compliqué. J’ai également pu parlé à Jean Jacques Picart, qui était un grand spécialiste de la mode et consultant. Il a eu une énorme influence dans le business notamment par le fait qu’il ait crée avec Christian Lacroix la maison de couture éponyme. Aussi, il a rencontré Hélène Lazareff [fondatrice de Elle] et il connaissait Anna Wintour. Donc, il n’y a pas de règles. Il s’agit seulement de lecture, de réflexion, d’écriture, de réécriture. Bien que j’avais un éditeur avec qui je travaillais pour lui envoyer des propositions, cela reste un travail assez solitaire. 

Je me suis dit que c’était une forme intéressante d’aborder le sujet autour du roman. Ce n’est pas un roman mais celui de plusieurs femmes. Il y a comme un fil et elles se passent le relais. 

Aux éditions Grasset, on m’a proposé de faire un autre portrait de femme. Mais je n’avais vraiment pas d’idées. Et puis, quand il y a eu la guerre en Ukraine je n’ai pas arrêté de penser à Hélène Lazareff qui est russe. Je me disais que ça résonnait vraiment avec elle car elle a connu la guerre civile ainsi que l’effondrement, et a du quitter la Russie à 10 ans. Donc j’ai commencé à écrire sur elle. De plus, je connaissais bien l’histoire avec l’écriture des Impératrices de la mode. Et c’est toujours bien d’écrire sur des choses que l’on connaît. 

J’ai reçu une lettre après la sortie des Impératrices de la mode d’une personne me disant qu’elle avait beaucoup aimé le livre. Dans la lettre, elle faisait des remarques sur tel personnage ou tel moment. Elle a laissé ses coordonnées à la fin pour la contacter et il s’agissait de Marion de Brunhoff [fille de Jean de Bruhnoff, créateur de Babar, et nièce de Michel de Brunhoff, ayant dirigé Vogue]. Suite à cela, je l’ai contactée pour la rencontrer. Nous nous sommes rencontrées et nous avons beaucoup discuté, notamment de sa famille. Je lui ai demandé s’il n’y avait pas un livre sur sa famille qui existait et elle m’a répondu que c’était compliqué car on parlait plus du côté Jean [de Brunhoff ] pour Babar. Je lui ai dit « Ecoutez, on va réparer ça » (rires).

L’époque a beaucoup a changé. La durée de vie de quelqu’un à la tête d’un journal n’est pas très longue car la presse a changé. Elle est beaucoup moins stable, pérenne et lucrative qu’elle ne l’était. Les impératrices de la mode sont des femmes qui ont pu asseoir leur pouvoir car la presse était un média qui était très important. Aujourd’hui ce n’est pas fondamental alors qu’avant ça l’était. Les gens qui vivaient en province avec leur Elle ou Marie Claire n’avaient que ça pour les rattacher aux palpitations du monde de la mode. Maintenant il n’y a plus de diktat des impératrices puisqu’il n’y a plus que des constellations de gens qui prennent la parole à leur gré. Ce sont des petits royaumes, ce ne sont plus des empires. Et puis, elles se retrouvent au premier rang des défilés à côté des rédactrices en chef. On n’est plus du tout dans le même éco-système.

L’ère digitale avec les blogueuses et instragrameuses a piétiné la presse. D’abord car elles ont pris beaucoup de pub aux journaux. Les personnes qui lisaient les magazines ne les lisent plus autant qu’avant. Peut-être qu’il y a encore des abonnées mais je ne suis pas sûre qu’elles filent tous les week-end au kiosque. Ensuite, j’ai l’impression qu’aujourd’hui les gens suivent plus les blogueuses et les instagrameuses. De plus, nous sommes dans l’ère du narcissisme, alors que les femmes qui dirigeaient les journaux étaient des femmes de l’ombre. Elles ne se mettaient pas en avant dans leurs journaux, elles ne racontaient pas leurs vies car elles racontaient celles des gens, et elles s’intéressaient aux gens. C’était des journalistes qui faisaient leur métier. Hélène Lazareff faisait peut-être un édito par an dans son journal, pas plus. Quand on l’invitait à la télévision, elle disait qu’elle n’avait pas envie d’y aller. Elle était agacée et préférait travaillait en équipe. Maintenant, on a besoin de se raconter et d’être sur la photo. Mais celle qui aurait pu être une super blogueuse c’est Diana Vreeland. Pour moi elle était exceptionnelle ! Elle se mettait en scène et était spectaculaire. 

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